La tragédie du 12 Août 2019, ou le refus de la mort de DJ ARAFAT

Article : La tragédie du 12 Août 2019, ou le refus de la mort de DJ ARAFAT
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12 août 2022

La tragédie du 12 Août 2019, ou le refus de la mort de DJ ARAFAT

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis….Les morts ne sont pas morts.

Amadou Kone, écrivain ivoirien *[1]

Le 12 août 2019, l’artiste ivoirien Ange Didier HOUON, connu sous le nom de DJ Arafat, a refusé de mourir. Ses nombreuses frasques ont contribué à lui faire une carapace de téméraire et une réputation de briseur de lois. Adulé pour ses impertinences et son style vestimentaire hors norme, son art, sa musique et son sens du buzz ont contribué à faire naitre le refus de la mort [2] au point de conduire à la désacralisation de son cadavre et à la profanation de sa sépulture [3]. D’ordinaire, les pilleurs de tombes, comme les pirates en mer, sont des quêteurs de fortunes qui flairent le flooz en des lieux peu insolites : haute mer, cimetières… Les circonstances de sa mort, le 12 aout 2019, collent au chanteur de 33 ans, friand de sexe, de roukasskass [4], d’apostrophes et de vitesse. La tragédie de DJ Arafat invite à se poser certaines questions : l’homme peut-il échapper à son destin dans une société moderne où les moyens de communication sont aussi puissants que des bombes ? La volonté de héroïser Arafat, le zeus d’Afrique, a-t-elle cédé face à ses nombreuses frasques ?  Nous voulons simplement comprendre et expliquer pourquoi on a voulu refuser le statut de mort au cadavre d’Arafat Dj.

Comme dans toute tragédie, le personnage principale, fini par mourir. La vie d’Arafat peut s’identifier à une tragédie. Parce qu’elle fut faite d’expérience de plaisir et de douleur. Et au moment de le constater, le refus de la réalité devient l’attitude humaine face à la mort. Selon Bernard DEJARDIN, dans L’art et la vie, Ethique et Esthétique chez Nietzsche, « La tragédie n’est pas un artifice, mais l’expression naturelle et éternelle de la condition humaine.»[5] Ce refus enracine sa première motivation dans l’activité artistique qu’il exerçait : le Coupé-Décalé, art des syncopes inédites, des messages sans contenu matériel, mais d’une musicalité qui invite le corps à la transe créatrice. Arafat DJ était, à l’oppose des autres artistes, un créateur de rythmes et de valeurs. En ne se focalisant sur sa capacité créatrice et sa volonté de domination de son milieu, Arafat, s’inscrit dans la vision nietzschéenne de l’art : créer pour ne pas mourir de la vérité lénifiante. Pour Nietzsche en effet, « l’art est une activité créatrice qui est susceptible de constituer une contre-puissance (GS §107) à l’égard des valeurs qui dominent actuellement… »[6]  En valorisant l’activité artistique comme la plus noble de la vie humaine, Nietzsche la positionne, comme les « plus grand stimulant de la vie »[7]. Arafat aimait par ses rythmes stimuler la vie non sans ivresse, avec une intensité dangereuse. On pourra qualifier sa vie frénétique comme une exaltation expressive de sa volonté de puissance. D’ailleurs, et on peut le lui reprocher. Il présentait  sans crainte de choquer ses fans, que son ami Johnny Walker (un gin réputé à forte dose d’alcool) et la drogue, étaient ses sources d’inspiration.

Vivre ainsi, dans la permanence du danger, a gravé son image, ses gestes et son style dans la mémoire collective au point de le déifier. Il va donc se sentir dans cette nouvelle peau aux mille sensations et vibrations au point, pour des questions de concordances s’affubler du nom de Zeus, dont la puissance se mesurant en millier de volt booste sa musique endiablante. Arafat, est devenu le phénomène dont le nom apparait dans les sujets de conversation de tout ordre suscitant à la fois crainte, amour, rire, raillerie, haine, envie. Ces dimensions ont fait se cristalliser sur  lui et l’épisode de l’annonce brutale de la brutalité de sa mort –  les medias de tous horizons.

Le Second refus réside dans la désinformation, l’autre non – ici – de rumeur. Il y prend son socle. Arafat et sa foule de chinois aiment les rumeurs, créent des buzz qui s’accompagnent de mensonges s’amplifiant dans un mécanisme populaire de désinformation.  Il semble avoir conditionné les esprits qui s’abreuvent et se passionnent de son art, au point où, 

« …depuis l’annonce de sa mort, le 12 août, certains de ses fans refusaient d’y croire, persuadés que cette mort annoncée n’était qu’un fake et que leur icône allait réapparaître. Alors, sans même attendre la fin de l’inhumation, des centaines d’entre eux ont envahi le cimetière, arrachant les fleurs posées sur la tombe avant de déterrer puis d’ouvrir le cercueil. (…) Le corps qui leur fait face est-il vraiment celui de leur idole ? Certains « Chinois » (…)– ont beau le toucher, ils semblent refuser l’évidence, préférant à la dure réalité de sa disparition les théories du complot les plus farfelues. » [8]

Cette psychose, nonacceptant sa mort, laisse découvrir la réelle dimension politique du jeune DJ ivoirien, le plus distingué, dont la capacité à cristalliser les attentions, fait du  « coupé-décalé la musique la plus politique de notre temps. » En effet, selon Gauz, « un artiste qui prend le nom de Arafat Dj et inscrit ses fans en Chine populaire est déjà dans la démarche politique. » [9] En proposant une musique inimitable et barbare et en jouant plus sur l’émotion du corps que de l’esprit, Arafat installe son art dans l’exploitation d’une grégarité où l’homme ne réfléchit pas mais agit.

Les masses qu’il draine à partir de ses mélodies confirment la perspective de la stratégie marketing de l’artiste.  La Chine devient le relais de la désinformation et de l’organisation de la désinformation. Les chansons et les frasques de l’enfant béni, suscitent l’acquiescement de la population ou des populations en pourfendant toutes les classes sociales. En l’espèce, ils installent folie, aveuglement et volonté de guerre entre Pro X et Pro Y. Comme l’écrit Vladimir VOLKOFF dans Petite histoire de la désinformation,

« A partir de ce moment, l’auto désinformation entre en jeu par un phénomène qu’on ne peut pas ne pas rapprocher du vampirisme. De même que, selon la légende, quiconque a été saigné par un vampire devient vampire lui-même, le désinformé est amené à devenir désinformateur, quelques fois par candeur, mais souvent avec un enthousiasme morbide, débouchant comme dans la propagande et la publicité, sur l’irrationnel. »[10]

La mort de l’artiste a ouvert des vastes chantiers d’immortalisation. Ange Didier, la bête est subitement devenu ange. Les langues sont devenues aimantes à l’égard de celui que le monde du business vomissait – ou était-ce une simple stratégie commerciale ?  Dans tous les cas Arafat est mort. C’est un fait. Là où apparaissent les théories des soupçons loufoques, c’est le refus des chinois d’accepter qu’un cadavre ne peut présenter les caractéristiques d’un vivant, c’est de voir en tout signe du sectarisme et de la chinoiserie. Et l’Etat, cette nouvelle idole selon les termes de Nietzsche, spécialisée dans le mensonge et la manipulation des masses, qui en s’accaparant de la dépouille, en se substituant à la famille, en voulant le présenter comme modèle idéal, en élevant son cadavre au rang de chevalier de la Nation et sponsorisant ses obsèques, devient la cible des chinois et l’ennemi d’une chine a-morale.

Arafat, est née comme un dieu grec et comme eux, eut une enfance non aisée, il vécut comme un funambule, dangereusement, est mort comme un guerrier, sur le front de ses propres frasques. Il fut inhumer comme un demi dieu et eu sa sépulture profanée comme celle des pharaons par des chercheurs en quête de savoirs. Le savoir dont la quête a conduit une jeunesse, radicalisé et devenue impavide, par les mensonges politiques, reste une quête de l’authenticité de l’identité naturelle d’Arafat, en vue d’assurer son immortalité dans la quiétude. Cette profanation est la résultante de la désinformation, de mystère autour d’un corps trop manipulé et qui ne voulait que reposer en paix.    

La doxa a fait naitre le mythe conducteur de l’enlèvement du cadavre réel pour des pratiques sectaires, ce mythe a motivé l’élan et les circonstances de la volonté de vérification  de l’authenticité qui a son tour a conduit à l’acte de désacralisation ou de profanation.  Profané par des femmes et des enfants, ceux qu’il disait aimer. Les visages et représentations de la vie, de l’innocence et de la trahison.  En parlant de l’enfant, Nietzsche l’identifie à une roue qui tourne. Chacun de ses retours, est l’accomplissement d’un cycle. Daishi est née, il fut en tas, il est mort, mais putain, sans tatouage, ce n’est point lui. Et comme dans l’Iliade d’Homère, la sépulture d’Arafat a été outragée. On parlera de profanation comme celle que fit subir Achille à Hector, fils de Priam et ainé de Paris le ravisseur d’Helene. En effet, Homère écrit : « Il attelle ses chevaux rapides, attache Hector derrière son char et le traine trois fois autour du monument de Patrocle fils de Menetius. (…) Achille outrageait ainsi le corps d’Hector. »[11]

Le gout pour les femmes et ses habitudes bacchanales traduisent son désir d’éternité. Boire mais aussi aimer les femmes, se perdre dans les beuveries et faire de sa vie une orgie d’où pouvait venir sa perte et d’où est venue sa perte et lui valut d’être porté comme héros, donc de s’éterniser dans la mémoire collective. Mais pour combien de temps ?

En Afrique, le corps sans vie d’un humain est respecté[12]. Bafouer un cadavre est une faute lourde. Les jeunes qui ont profané l’objet de leur fanatisme sont en faute tant au niveau de la loi que des traditions, même s’ils ne voulaient que le repos éternel de leur idole. Nous concluons en affirmant ceci : Comme suivant histoire d’un dieu ou d’un chef, d’une tradition qui veut que le cadavre soit accompagné, l’acte de désacralisation, et de profanation procède obligatoirement de pillage, de destruction. Arafat, du moins, son cadavre, n’a pas subi que profanation, sa sépulture luxueuse a été déchiquetée comme un tombeau royal non pas de mains de voleurs sans scrupules, mais celles d’une jeunesse devenues amorales à cause des aspérités de la vie, pour juste satisfaire une curiosité nourrie par les rumeurs et la désinformation. Si la force du corps ne l’a pas épargné de l’accident[13] ; la témérité de sa musique et de ses habitudes dionysiaques ont éternisé son art entre la période de sa mort et celui de sa deuxième inhumation. L’immortalité implique toujours la conscience de la mort. Au fond, et Edgar Morin, nous le montre « personne ne croit à sa propre mort, ou, ce qui revient au même, chacun est persuadé de sa propre immortalité. »[14] Arafat le savait surement.

Œuvres consultées

  • ALLINGHAM (Margery).- Mort d’un fantôme, Traduit de l’Anglais par Annie Hamel, Editions Du Masque – Hachette livre, 1996, 221p.
  • BADIAN(Seydou).- Sous l’orage suivi de La Mort de Chaka, Présence Africaine, 1961, 256p.
  • CHOULET (Philippe) –NANCY (Helene) – Nietzsche, l’art et la vie, Editions du Félin, 1996, 384p.
  • DEJARDIN (Bernard).- L’art et la vie. Ethique et esthétique chez Nietzsche, Paris, L’Harmathan 2008, 350p.
  • DENAT (Céline) et WOTJING (Patrick) .- Dictionnaire Nietzsche, Ellipses Editions Marketing, 2013, 317p.
  • DEWEY (John).- L’art comme expérience, Paris, Gallimard, Coll. Folio Essais, 2005, 610p.
  • GAUZ, DJ Arafat, les Asia et les lêkê, in Jeune Afrique Nr 3061 du 8 au 14 septembre 2019, 100p
  • HOMÈRE, L’Iliade, NRF, collection 1000 Soleil, 600p.
  •  KONE (Amadou).- Le respect des mort, suivi de De la chaire au trône, CEDA, LEA, HATIER, Paris, 1990,120p.
  • MORIN (Edgad).- L’homme et la mort, Paris, Seuil, 1970,387p.
  • VOLKOFF (Vladimir).- Petite histoire de la désinformation, Du Cheval de Trois à Internet, Editions du ROCHER, 1999, 290 p

[1] – Citation d’ouverture du roman  Le respect des morts de l’écrivain ivoirien Amadou KONE.

[2] – Les fans de l’artiste s’appellent Chinois à cause de leur nombre.

[3] – Pris en charge par l’Etat ou le Président de la République, le budget des obsèques de l’artiste est estimé à 150 millions de FCFA dont 35, pour la construction du caveau.

[4] – « Nombreuse syncopes dans la rythmique du coupé-décalé. » selon l’écrivain ivoirien GAUZ.

[5] – Bernard DEJARDIN, L’art et la vie. Ethique et esthétique chez Nietzsche, Paris, L’Harmattan, 2008, p.87.

[6] – Céline DENAT et Patrick WOTJING, Dictionnaire, Nietzsche, Paris, Ellipses Editions Marketing, 2013, p.48

[7] – Nietzsche, Fragments Posthumes XIV, 14.

[8] -Vincent Duhem,  Côte d’Ivoire : l’adieu gâché de la génération Arafat à son idole inhttps://www.jeuneafrique.com/822601/culture/cote-divoire-ladieu-gache-de-la-generation-arafat-a-son-idole/, consulté le 31 août 2019 à 20h28. 

[9]– GAUZ. DJ Arafat, les Asia et les lêkê, in Jeune Afrique Nr.3061 du 8 au 14 septembre 2019, p.43          

[10] – Vladimir VOLKOFF, Petite histoire de la désinformation, Du Cheval de Trois à Internet, Editions du ROCHER, 1999, p38.

[11]  Homère, L’Iliade,  CHANT XXIV, PRIAM, p.454.

[12]– Problème de fond du livre Le respect des morts d’Amadou Koné.

[13]– Un accident est un moment  occasionnel de la mort au sens de Freud. Dans Essais de psychanalyse, il écrit : « Nous insistons toujours sur le caractère occasionnel de la mort : accidents, maladies, infections, profonde vieillesse, relevant ainsi nettement notre tendance à  dépouiller la mort de tout caractère de nécessité, à en faire un évènement purement accidentel ». Cite par Edgar Morin, L’homme et la mort, Paris, Seuil, 1970, p.72

[14]– Edgar MORIN, L’homme et la mort, Paris, Seuil, 1970, p.73.

Credit photo: Google.

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