Jeudi à Abidjan : mariage, cascades et arrosage

Article : Jeudi à Abidjan : mariage, cascades et arrosage
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22 septembre 2013

Jeudi à Abidjan : mariage, cascades et arrosage

Une mariée (Photo Badra)
Une mariée (Photo Badra)

Le mariage est un acte d’union qui s’accompagne généralement de réjouissance. D’un peuple à l’autre, d’une culture à une autre, d’un coin du monde à un autre les pratiques et le folklore autour, sont personnalisés et personnalisables. En Côte d’Ivoire, les rituels qui précèdent et accompagnent les mariages de certaines corporations et corps de métiers donnent des frisons, par l’étrangeté, l’absurdité et la dangerosité du spectacle.

Si à Bamako au Mali « les dimanches » sont des « jours de mariage » selon la célèbre chanson du célébrissime couple aveugle Amadou et Mariam, les jeudis sont, à Abidjan, jour de célébration de la plupart des mariages musulmans. A Abidjan, dans les communes populaires comme Adjamé, Abobo, Yopougon, Koumassi, les jeudis sont marqués du réveil au coucher de vrombissement de moteurs, de bruits exacerbant de klaxon, de fanfares, de défilés improvisés et énervants « souvent » des véhicules de transport en commun (Wôrô-wôrô, gbaka…), de passage en liesse d’hommes, de femmes en uniforme. Bref, les jeudis, quand il y a mariage, les petits dioulas (le mot ici étant à la fois une expression générique originelle, englobant tous les petits corps de métiers : mécaniciens, chauffeurs, commerçants, vendeuses, mâcons, plombiers…) sont excités comme s’ils allaient à la plage.

De façon particulière, le folklore et les attitudes qui entourent ces événements heureux d’union sont à la fois spectaculaires, émouvants, souvent inquiétants et effrayants selon le statut ou l’appartenance due ou de la mariée à telle ou telle corporation. Deux groupes retiennent notre attention.

#Les hommes des métiers roulants

Professions garagistes, chauffeurs, ferrailleurs, vendeurs de pièces détachées dans les casses. Ils sont des cousins d’un même métier. Leurs traits communs sont les engins roulants. Peu importe que ces engins soient bi, tri ou quadricycles. Le mariage d’une personne de cette catégorie se dessine selon le schéma suivant. Le matin tous les cousins, amis, sympathisants arborent un t-shirt à l’effigie des mariés. Dans le dos, le nom du gourou financier, le « babatché » est en bonne place.

Pendant que les mariés se préparent chacun de son côté pour la mosquée, un groupe d’amis papotent autour du thé à la demeure de Monsieur le futur marié. Ce groupe est important et boire le thé avec quelques doses de ce qu’ils savent est capital pour la suite des événements. C’est le commando (composé d’amis proches et de bons cascadeurs) qui sera chargé de récupérer ou d’enlever de gré ou de force, avec élégance ou brutalité la mariée dans son cercle de danse chez ses parents. Dans les rues, un autre groupe sème la pagaille.

Si c’est un mécanicien ou un ferrailleur qui se marie, tous les apprentis en véritable horde de zinzins souvent trop mal élevés et/ou indisciplinés vont s’armer de tout le stock disponible d’huile de vidange et envahir les rues du quartier. Si vous les rencontrez un jeudi, qui que vous soyez, laissez-leur le chemin. Et si par malheur, vous êtes surpris de vous retrouver sur leur passage et qu’ils vous demandent d’acheter de l’eau ou autres choses pour se désaltérer, faites de votre mieux pour les satisfaire, sinon, vous aurez votre dose de peinture et de salissure volontaire. Les auteurs disparaîtront après leur sale besogne. L’idée de cette pratique est de montrer que leur chef ou patron va se mettre la corde au cou. Et pour l’occasion, tous les véhicules, même, les plus fumeux renaîtront.

Si dans un autre cas, c’est un chauffeur qui se marie, vous risquez d’être mouillé. Simple effet collatéral d’un rituel corporal. Avant, le jour même ou après le jour de célébration si vous vous soupçonnez d’être dans un gbaka ou wôrô wôrô d’un nouveau marié, ses amis n’auront aucun égard pour vous les clients, vous les rois selon l’expression. De n’importe quelle posture, ils largueront leur bombe de sachets d’eau sur le concerné. En effet, le jour de mariage d’un homme de ce corps de métiers, les conducteurs ont initié le rituel de l’arrosage. Toutes les eaux sont bonnes pour la pratique. Ils s’arrosent avec tout ce qui leur passe par la main. Souvent avec une brutalité digne de ce milieu d’anciens gnanbro, cokseurs, rabatteurs, syndicats. Et s’ils n’arrivent pas à l’avoir, un membre de sa famille peut être une cible de consolation. Et enfin, toute la journée, les tintamarres des klaxons détruiront le silence et le calme de la ville.

Dans ce groupe, lié par les engins roulants, le mariage se déroule comme suit. Soit les parents se rendent chez la mariée pour la célébration, la présence de l’homme n’étant pas une nécessité, soit les familles se donnent rendez-vous à la mosquée pour l’officialisation du couple. Ensuite, la mariée rejoint le domicile de ses parents. Elle est confiée aux femmes qui la préparent sur tous les plans. Le repas de midi passé, le soir est consacré aux danses. La raison de tout le travail des femmes. Les shows de danses sont le moment privilégié pour elles de présenter leurs dernières acquisitions vestimentaires.

A partir d’une certaine heure, le fameux commando, sentant que leur ami a besoin de sa femme, décide d’aller chercher cette dernière. C’est leur femme désormais. C’est le moment des cascades, des bruits des moteurs chauffés à bloc, de toutes les démonstrations dangereuses que possibles avec leurs vétustes bolides, souvent empruntés. D’aucuns racontent qu’il y a un autre rituel. Le commando qui récupère la femme, souvent se charge de coucher avec la mariée avant de l’amener chez son mari. Faire un dernier coup, question de vérifier si la marchandise est bonne où que sais-je encore. On entend de plus en plus parler de ce type de pratique mafieuse, qui s’apparente à un viol collectif condamnable.

La récupération de la mariée peut se faire dans la douceur ou le cafouillage. Comme elle quitte sa famille pour une autre, une tradition souhaite que les femmes s’y opposent symboliquement, question de montrer au commando, que leur fille est encore leur fille. Mais les hommes étant les hommes et les femmes aussi, l’exécution de cette tradition peut se terminer quelquefois dans la violence, avec des blessures, dans la bagarre entre femme et homme, dans le cafouillage où déchirement, dépouillement se pointent.

Enfin, la mariée une fois extirpée est accompagnée chez son homme, qui dans l’impatience de l’attente fait crépiter les téléphones de ses amis d’appels, de sms et de bips. Le cortège qui l’accompagne est constitué d’une ribambelle de véhicules transportant vielles femmes, amies de toutes sortes, des individus souvent mêmes inconnus, mais curieux de savoir dans quelle piaule la mariée sera introduite. Sur les toitures des véhicules, accrochés aux portières, le corps à demi exposé aux vitres, les accompagnateurs se donnent en spectacle et donne du spectacle aux observateurs. Et les cascadeurs au volant, « font plaisir ». Ils montrent leur savoir-faire dans le maniement du volant. Chacun y va de son mieux, pour rendre le jour inoubliable.

# Les gos et femmes des marchés

Commerçantes en général. Vendeuses d’arachides, de pagnes, de poissons, de médicaments en particulier. Propriétaires d’étable dans un coin de rue, de magasin au Forum des marchés d’Adjamé, sur le boulevard Nangui Abrogoua ou au Grand marché de Tingrela, d’un préau dans le marché Roxi etc. elles rêvent toutes « du jour de leur jour ». La nouvelle du mariage d’une fille de ce lot provoque des effets de liesse et Dieu seul sait de combien de joie, d’envie, d’affairage et de jalousie dans les marchés du pays. Sans communiqué officiel, les « sons » vont dans ces endroits à la vitesse lumière.  Fatou se marie ce jeudi. La copine de mon cousin qui sortait avec le fils de ta cousine va se marier avec le petit fils du vieux vendeur de colas dont les enfants sont derrière l’eau. C’est le « jeudi » de Mariam qui est arrivé…Bref dans nos marchés, un mariage est une occasion de « farotage » pour les uns, de démonstration de pouvoir pour les autres, et j’en passe.

Dans ce secteur où les femmes sont les seules MDL (maîtresses des lieux), la solidarité est de mise comme chez les cousins liés par les engins roulants. Elles n’hésitent pas à sortir la grande et grosse artillerie. Elles sont prêtes à tout pour que la célébration soit le sujet de conversation des marchés les jours suivants. En général, mes sœurs dioulas cherchent de l’argent pour deux choses : s’acheter des boubous, des bazins, des pagnes à des coûts indignant pour paraître lors de baptêmes et mariages et payer par le travaillement les griottes et griots des temps nouveaux pour simplement dire, entendre leur nom et éloge au micro.

La femme dioula est par excellence bosseuse et débrouillarde. Du matin au soir, elle se tue à la tâche pour s’occuper soit des enfants, soit de la famille. Mais une grande partie de ses économies est destinée aux festivités où elle s’invite. Elle ne rêve que de pagnes. Souvent peut accepter de voir sa famille crever de faim, son fils faire deux jours d’école buissonnière pour simple manque de cahier, son homme se décarcasser pour payer l’argent de la popote que de mettre la main sous le pagne pour participer. Mes sœurs dioulas, sont ce qu’elles sont. Je ne dis pas qu’elles sont toutes ainsi, mais c’est le prototype de la femme dioula. Très battante, mais d’une pingrerie légendaire et remarquable au quotidien par ses plaintes et complaintes. Elles disent toujours, « ne jamais rien avoir ». Et donc pour elles, tout est matière à négociation, même quand le trajet coûte 100 FCfa.

Les femmes des marchés, quand il s’agit de mariage, sont mieux organisées que les hommes. Toujours à jours de leurs nombreuses cotisations et tontines initiées pour ces occasions. Tenez-vous bien, mes sœurs dioulas sont d’une rancune très franche et directe. Si tu ne participes pas à ton tour, personne ne lèvera le pouce. Et il faut craindre dans ce milieu une fête ratée. La déprime risque de vous tuer. C’est pourquoi le mariage d’une femme des marchés est l’affaire de tous. Celles-là s’occupent de vendre le pagne choisi pour l’uniforme, celles-là sont aux petits soins de la mariée quand elle entre dans sa période de préparation, c’est-à-dire trois jours avant le jeudi, tandis qu’un autre groupe s’occupe du folklore, de la logistique. Le mariage, c’est plus l’affaire des femmes que des hommes.

Le jour du mariage, elles se mobilisent à la mosquée et prennent le soin de préparer dans le secret des femmes la chambre nuptiale. Une fois ce décor planté, c’est le tour de la soirée, puis la sortie de la nouvelle mariée, le lundi qui suit la célébration. Lorsque celle-ci signe son retour dans les marchés, c’est jour de chants, de danses, et d’arrosage au rythme des fanfares. De blanc vêtu, dans des t-shirts devenus moulants à force d’être mouillés, se laissent voir tous les « seins clairs » aux nichons intrépidement redressés,  soigneusement entretenus, et dont on imagine la lisseur, la mollesse, et la douceur sous des caresses. De quoi faire branler tous les esprits libres.

Les filles s’arrosent mutuellement dans une ambiance ludique et ordonnée. Pas comme les hommes dont le rituel de bizutage s’apparente à la barbarie. C’est aussi l’occasion pour les vendeuses d’eau en sachet de faire bonne recette. La mort du cabri du voisin rend agréable l’odeur de la sauce d’un autre. D’ailleurs si on ne lésine pas sur les moyens pour organiser un mariage, pourquoi réfléchir quand on sait qu’un sachet d’eau ne coûte que 10 F Cfa. Un sachet par ici, paf, on mouille celle-ci ou celle-là. Même le passant ou la passante récolte son lot de bénédiction. De quoi énerver souvent dans ces rues achalandées et sales de nos boulevards commerciaux.

Les imams, les vieillards auront beau s’échiner à fustiger ces pratiques, à sensibiliser et conseillers, les jeunes et leur entourage, n’entendent rien. La jeunesse est souvent têtue. Si votre jeudi arrive et que vous voulez vous mettre à l’abri de débordement de quelque ordre que ce soit, faites appel à des scouts. Ils sauront quoi faire.

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Commentaires

Fofana Baba Idriss
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Merci de tirer la sonnette d'alarme mon frère. Cette histoire de mariage des "Russe" à Abidjan et autres villes de l’intérieur est devenue dramatique. Les gens ont du mal à sortir de leur vieillerie... Bon billet !

A.B. Ladji Coulibaly
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FBI, petit russe toi meme. Le jour de ton mariage, on fera pire. Sur le toit da la voiture de Kongnonmousso, on va faire boro d'enjaillement. Merci pour tes remarques. peace.

Osman Jérôme
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Vraiment, tout est une question de "Culture" hein.

A.B. Ladji Coulibaly
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En effet mon cher.

Josiane Kouagheu
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Oh Aly. Je voulais commenter aujourd'hui, mais je n'ai pas pu m'empêcher de relire! C'est si croustillant. Je pourrais dire: "les jeudis à Abidjan, les dioulas sont plus heureux" (en chanson). J'aime vraiment ce billet! Au Cameroun, nous avons notre marché de fleurs à Douala. Plein à craquer du mercredi au samedi. Et le vendredi, les mariages se célèbrent. Il y a trop de points avec Abidjan. La jeunesse est têtue Aly. Rien à faire, ils veulent vivre, "jouer la vie" quoi et ça donne des fêtes le jeudi...! Comme j'ai aimé cette visite à travers ce billet!

A.B. Ladji Coulibaly
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Merci Josiane. Toi aussi tu nous fais déguster ton monde, quand tu peux. Shalom

Abib
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Comme tu l'as dit toi même, la cérémonie de mariage est relatif. Si en CI, ca fait particulier, temps mieux. Il ne vous reste qu'à trouver un moyen pour que les autres ne soient pas géner à cause d'un Tintin qui ignore que son mariage ne doit pas fréiner les activités des autres.
Heinnnn Aly !!!!!
Sais-tu qui je suis ????????

A.B. Ladji Coulibaly
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Helas, non. Je ne sais pas qui tu es. Est-ci si important? deja, en tant que lecteur, je t'accorde tout le respect qui se doit. Merci de ta visite et de m'en dire plus, cher habib.

Abib
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Je viens juste de quitter mon Labo.
Juste pour venir dire qui je suis. Tu te rends compte, tu vien de retarder les resultats de la recherche de quelques heures.
Allez!!!! Continues à nous dire les chose, mon Général.

A.B. Ladji Coulibaly
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Hum abib le kinois, shaloom

Fallé YCOSSIE
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update yourself bro, c'est et Jeudi et Dimanche

A.B. Ladji Coulibaly
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Pour ton information: chez les dioula en particulier et les musulmans (je ne dirai pas en general) les mariages se celebre comme suit: Lundi la femme rentre dans le Bunker de tuining pour se faire tres belle. JEUDI on celebre le Mariage et elle part chez son mari. le dimanche Matin elle revient en famille pour dire aurevoir definitivement à sa famille puis le meme jour, ses parents la conduise chez son époux. Il n'y a pas de celebration les dimanches et il n'y a donc pas lieu de faire une mise à jour. Monsieur Falle lisez les faits.

Rita Cissé
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Bonjour Aly,

tu n'as pas parlé de notre danse, réservée aux femmes, en général les samedis ou les dimanches! ;) merci pour ce billet! J'imagine déjà mon Jeudi!

A.B. Ladji Coulibaly
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Salut Rita, merci pour ce passage...Et oui ces danses de femmes aux boubous dont on imagine par les coutures les prix et les portefeuille plein de billets de banques pour se voir sur un écran géant en train de travailler, me font moi meme fremir, quand j'imagine à quelle sauce je serai manger financieriement le jour de mon Jeudi...Je te reserve une surprise en attendant ton jeudi...A bientot, pour ces Off de Mriage dioula ou musuiman en Eburnie...

Evana
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Excellent billet, plein d'humour. Une capture bien piquante d'un jeudi de mariage dans certaines de nos communes :)

A.B. Ladji Coulibaly
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Merci

Sévérin ASSI
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oui merci pour le billet

A.B. Ladji Coulibaly
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Merci de nous avoir visité.