ADO : déguerpir n’est pas résoudre, les bulldozers ne font que déplacer

Article : ADO : déguerpir n’est pas résoudre, les bulldozers ne font que déplacer
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12 juillet 2016

ADO : déguerpir n’est pas résoudre, les bulldozers ne font que déplacer

 

Abidjan, Rond point de la Liberté, Adjamé. Ph.Ladji Siratigui
Abidjan, Rond point de la Liberté, Adjamé. Ph.Ladji Siratigui
Anne Desiré Ouloto (ADO) Ministre ivoirien de la Salubrité (Ph.Google)
Anne Desiré Ouloto (ADO) Ministre ivoirien de la Salubrité (Ph.Google)

Première Lettre en saison post-pluie à ADO, Ministre de la Salubrité Urbaine

Déguerpir n’est pas résoudre. Les bulldozers ne font que déplacer ce qui reviendra au galop.

Madame la Ministre, Honorable, Anne Désirée Ouloto (ADO)

Mes hommages. Je suis comme tout bon Ivoirien, heureux de vous écrire. Les lettres de nos jours, sont soumises au rythme de notre Poste de plus en plus abandonnée, à cause des nouvelles façons de communiquer jugées plus rapides et plus démocratiques. Dans le gouvernement auquel vous appartenez, les rares geeks se comptent du bout des doigts. Chacun donne aux yeux du monde une image en temps réel et avant tout Conseil, les CR de ses actions, comme pour dire, #lepaysestautravail, #noustravaillonspourvous…

Les lettres, souvent, sont lues, quand elles ont la chance d’arriver et d’arriver entre les mains du destinataire, sans qu’un Service courrier ne le jette à la poubelle. Souvent elles n’arrivent pas et restent perdues quelque part, Dieu seul sait où, en chemin ou dans une boite que rarement le facteur du service, visite.

Cette lettre est soumise à ce sort. Arrivera, n’arrivera pas. Sera-t-elle lue, ne sera-t-elle pas lue ? Dieu seul sait.

Mais bon, rien ne m’ôte ce jour, l’envie et la motivation de vous écrire. C’est d’ailleurs sous nos cieux, un privilège de savoir écrire une lettre et d’écrire une lettre à une honorable au sommet du pouvoir. Honorable, Ministre et je ne sais quelle autre bonne place dans combien de conseil d’administration… Encore une fois, Dieu seul le sait.

Madame, les dernières pluies ont causé quelques dommages, quelques torts. Elles ont provoqué la colère des dessus répugnants d’Abidjan, notre capitale économique. Les propriétaires des bulldozers se sont léchés les babines. De nombreux camions bennes pointaient au rendez vous devant le District de police d’Adjamé. Dieu seul sait pourquoi aussi.

En parcourant, au gré de ses courses personnelles, Abidjan, le constat des destructions de nombreux bidonvilles, mais aussi des installations anarchiques sur le domaine public est vite établi. Les bordures de routes sont désormais, mais provisoirement, dégagées. Ceux qui s’y débrouillaient ont été, avec les bons arguments, chassés. Des dessins de jardins par-ci par-là. Vous avez été vu en tenue de terrain – pour emprunter l’expression aux #fescistes – jeans, polos, casquettes, sur les champs de destruction, pour donner l’exemple, pour suivre l’exécution, pour faire un beau discours devant les médias, pour même accepter les malédictions lancées par tous ceux qui à coup de Caterpillar flanqués de hordes de FRCI, de CRS et de BAE, voyaient leur baraques détruites, leurs gagne-pains fracassés.

Et la chaîne nationale a fait l’éloge de vos travaux musclés de déguerpissement. Les Unes des journaux choisis titraient – avec une belle photo de vous dans un beau pagne bien cousu : «Le visage d’Abidjan va changer ». Aux entrées de certaines zones où vous avez agi, des pancartes enseignent ceci : « Ne jouons pas avec la mort ». Les exploits de vos actions vous ont auréolé de gloire avant votre voyage d’apprentissage de je ne sais quelle gestion de déchets, Dieu seul sait si c’est en Espagne ou au Portugal. Dans tous les cas, Facebook nous a fait savoir que vous étiez avec une forte délégation, à l’école de quelque chose, dans un pays de Blancs, comme si les échos du modèle du Ghana, en ces périodes où les Africains chantent hypocritement intégration et coopération Sud-Sud, ne pouvaient servir d’appât, de sujet de curiosité, d’inspiration, d’occasion de fréquentation. Mais bon, les per diem d’un séjour au Ghana ne doivent rien signifier, à coté de ce qui pourraient être ceux d’un si long voyage outre mer. En plus, ça fait plus chic de savoir qu’on est en Europe que d’être en Afrique. Cette Afrique pourrie où rien n’est bon, mais qu’on prétend toujours vouloir construire.

J’aurais bien voulu vous féliciter, comme ceux de la RTI le font si bien en faisant leur travail. Mais de nombreuses choses et raisons m’empêchent de le faire, et même si je devrais le faire, comment trouver les mots justes ? Vous êtes à un sommet tel que même ma voix dans son plus beau déploiement, avec la volubilité d’un Ricardo Zama, ne pourrait atteindre le lobe de vos oreilles. Alors pourquoi perdre l’énergie ? L’énergie dont les coûts ont pris un sacré coup d’émergence ces temps ci, au point ou les factures qui sont émises ces temps ci, grisent les minent de ceux qui les reçoivent. Dieu aussi seul sait comment les calculs ont été faits à ce niveau.

J’aurai bien voulu vous saluer, mais, puisse-t-il encore que mes mains se trouvent dans la trajectoire de la votre, un beau jour de hasard et de bénédiction divine. D’ailleurs si j’en ai l’occasion, je ne le ferai que pour la forme et non pour vos travaux, car c’est bien votre travail que vous faites. Qui félicite l’enseignant pour avoir tenu si bien sa classe au cours de l’année ? Qui remercie le médecin pour avoir sauver une vie ? Qui congratule le videur de poubelle qui fait le boulot pour lequel il est payé ? Qui récompense le planteur pour ses efforts surhumains, dont seul les acheteurs tirent bon profit ? Pourquoi vous féliciter ou vous saluer alors, puisque vous faites votre métier ?

L’autre raison est que, quand je vois tous ces travaux, je me dis que tous ceux que vous déguerpissez reviendront ou sont déjà revenus. Tous les agents des forces de l’ordre, que vous postez pour les dissuader, finiront par se lasser, se laisser corrompre. Tous les espaces que vous aménagez avec ces gazons grégaires, ces barbelés scellés sur des bâtons de fortunes, finiront par tomber d’ici peu en décrépitude. C’est une loi de la nature. La nature ivoirienne qui enseigne que toute solution n’est que provisoire. Très provisoire. Trop provisoire. Tout est folklore. Rien de plus.

Pourquoi, quand il s’agit d’importuner les pauvres gens, on déploie tout un arsenal de guerre en disant qu’on agit pour leur bien, alors que quand c’est pour tenir des promesses politiques, on invite à la patience ?  On n’hésite même pas à rentrer dans ces taudis pour quémander des voix au moment des élections. Et juste après, on estime qu’ils sont mal installés, en danger, on devient donneur de leçon de vie… La meilleure façon de gagner cette guerre, c’est de proposer des solutions durables à ceux qu’on chasse. Mais dans vos bureaux, on s’en moque. Un de vos Directeurs disait, sur une antenne, après avoir fait son boulot à Adjouffou : « on dit où ils vont partir ? La question est de savoir où ils étaient avant ». Et bien, voilà. Lui il est plein au as, il a perdu le bon sens. Il ne sait plus qu’ils étaient là et nulle part ailleurs. Ils ont toujours été là. Si vous les chassez ce matin, ils reviendront le soir. Si le soir vous les déguerpissez, ils se réinstalleront le lendemain dès l’aube. Et si à l’aube, des agents en uniforme les empêchent de revenir, ils attendront le crépuscule. Quand ceux-ci, fatigués à ne rien gagner comme « dabroudjôdjô », rejoindront leurs familles, ils arriveront comme prévu, car, il n’y a pas d’autres lieux où ils pourraient partir.

Croyez-moi, tous ceux que la RTI interrogera, et qui diront que vous agissez bien, sont des hypocrites. Car dans le fond, les actions menées ne sont que de simples déplacements des problèmes, sans jamais envisager de les résoudre réellement et définitivement. Dieu, encore, sait pourquoi.

Les containers dispatchés partout dans Abidjan comme brigade de surveillance ne servent qu’à décorer des espaces verts très mal tenus. Ils n’ont jamais rempli le 1% de leur fonction. Celui de Siporex, dans la commune de Yopougon, servira bientôt d’agence immobilière improvisée ou de dépôt de médicament africano-chinois. A Adjamé, au rond point conduisant à Williams-ville, les fous, les reclus et autres bakromanes, attendent la bonne occasion pour y élire domicile officiellement… Sur l’axe du Zoo, au carrefour 2 Plateaux, les taxis ont envahi la chaussée, mais nous y reviendrons dans la deuxième lettre…

Madame, la Solution n’est pas de déguerpir, car ils reviendront. Et si nous nous parlons tardivement, ils auront déjà commencé à revenir. C’est une loi de la nature. En attendant la prochaine saison des pluies, ils s’accommoderont…

En vous souhaitant, bonne réception et bonne lecture.

Cordialement.

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Commentaires

gerald
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Charmé ! Tu n'as pas peur de poser les vraies questions et interrogations ! Wouah !

A.B. Ladji Coulibaly
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Bjr et merci pour ton passage. Avoir peur de decrire? Pour quelle raison, Il n' y a pas de calomnie. On voit, on ecrit et nos Autorités devraient se rejouir de l'opinion du peuple ou de quelque membres du peuple. A bientot.